LETTRE A MONSIEUR
Monsieur,
Nous traversons une période de mutation sociétales, certains parlent d’émancipation de la femme, moi je parle de libération de la parole de tous les esprits. Je ne sais pas si cette expression peut s’entendre, seulement il me semble important de t’exposer la situation afin que tu puisses comprendre ta place dans les enjeux du combat des femmes.
En effet monsieur,
Comme tu le sais pendant plusieurs siècles la femme n’était pas considérée comme faisant partie de l’histoire. Ce n’est qu’à partir des années 70 que l’on distingue les femmes comme un groupe social en nommant pour la première fois « l’histoire des femmes ». Le mouvement féministe a fortement contribué à la reconnaissance de la place de la femme dans notre histoire.
Monsieur,
Aujourd’hui je te confesse une réalité dont je ne suis pas fière, pendant longtemps j’ai eu une mauvaise représentation du féminisme. Comme dirait le philosophe Gaston Bachelard, l’opinion ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En effet, j’étais carencée en termes de savoir sur ce mouvement. Adolescente j’associais le féminisme à des femmes radicales qui marquaient la différence des genres en revendiquant des droits. J’avais l’impression que nous étions dans un rapport de force femme contre homme et non dans une dynamique d’unité en faveur des droits de la femme, de l’homme, des Hommes. A partir de ce préjugé, j’avais construit un mur d’obstacles impossibles à surmonter pour arriver au plus près d’une connaissance objective du féminisme.
Tu comprends monsieur,
Je n’ai pas grandi dans un climat où la petite fille n’a pas les mêmes droits que les garçons. Déjà, tu m’as montré en tant que père qu’un homme pouvait être dans le partage des tâches dans son ménage. Tu travaillais beaucoup, mais ta femme aussi. Je me rappelle de faire la cuisine avec mon père et coller du papier peint avec ma mère, de jouer au coiffeur sur les cheveux de mon père et de faire des mathématiques avec ma mère. Bon ok c’était plutôt toi monsieur qui conduisait et ta femme qui faisait les courses. Certes, seulement je pense qu’il n’est pas question de genre dans certaines actions mais certainement plus d’une question de choix communs pour le bien de tous.
Et puis je suis née dans une famille où les femmes étaient avant-gardistes, cultivées et travailleuses. J’avais pour simple exemple une grand-mère agricultrice qui vendait ses fruits et légumes en moto dans les années 60. Effectivement, j’ai été bercée par des récits mettant en avant les difficultés des femmes, j’admirais leurs parcours de combattantes et je me représentais cela comme une condition pour devenir une femme, il fallait être forte et courageuse en silence.
Bien sûr monsieur,
à mon adolescence tu as été un frère protecteur. Tu m’apprenais la phrase « les mecs sont tous des cons ! », comme une sorte de prévention face à mes futures peines de cœurs. Tu ne voulais pas que je porte des talons compensés à 13 ans, ni que je mette du maquillage avant 15 ans. Bien, il n’était pas question de machisme, juste d’un grand frère qui ne voulait pas que sa petite sœur grandisse trop vite. Tout de même, tu me faisais confiance, et tu as toujours respecté mes choix et mes envies, c’est en partie ce qui m’a construite. Tu sais ces interdictions préventives ne m’empêchaient pas de changer mes vêtements et de me mettre du rouge à lèvre chez les copines avant d’aller au collège. Et oui, j’avais la chance d’habiter en France.
Je suis née en France à Paris, j’ai vécu pratiquement toute mon enfance et adolescence en banlieue plus particulièrement dans une cité cosmopolite. Tu as été ce voisin, cet ami, ce petit ami respectueux. Avec certains garçons nous nous faisions la bise, puis avec d’autres on se serrait la main. On s’adaptait en fonction des religions, cultures et convictions des uns et des autres. J’ai grandi dans une ambiance solidaire et bienveillante de quartier dont je suis fière. Alors certes il y avait le banc des filles d’un côté, le banc des garçons de l’autre mais après tout nous restions adolescents. C’est certainement dans cet échange social, que j’ai commencé à découvrir que certaines filles avaient plus de contraintes dans leur vie que moi. Sans jugement, j’apprenais à observer une réalité, mais je ne la vivais pas, du moins pas encore.
Oui monsieur,
Sache que tous les hommes et femmes n’ont pas ta bienveillance. Il m’est arrivé de vivre des situations inadmissibles qui m’étaient à mal ma dignité, mon intégrité, ma personne.
Lors d’une interviewe suite à la signature dans « Le Monde » d’une tribune qui défend « la liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » la journaliste Elisabeth Levy dit« si quelqu’un me touche sans mon consentement admettant que je n’ai pas eu le courage ou le bon réflexe de lui en coller une, je l’aurai oublié dans la seconde qui suit car ma dignité dépend de moi, elle ne dépend pas des hommes ». Et pourtant, sauf si Madame Lévy vit seule dans une bulle, cher monsieur sache que la dignité est la capacité pour tout être humain de se déterminer d’après des principes, et de traiter les autres Hommes en conséquence. C’est donc un devoir humain que de ne pas oublier mais de dénoncer ces actes.
Une main aux fesses, des sifflements animaliers, des insultes, des menaces et risques d’agression sexuelles ne sont pas des approches offrants une dignité à l’autre. Toutes ces choses étaient banalisées pendant longtemps par la société car nous étions conditionnées à penser que ce sont des risques naturels du quotidien du sexe féminin. La seule chose que cela a induit chez moi c’est une colère agressive. J’ai jeté une brique de lait au toucheur de derrière, balancé un doigt d’honneur aux siffleurs de chien, eu des paralysies traumatiques et c’est souvent toi aussi monsieur qui intervenait et me protégeait de ces hommes malveillants.
Et puis finalement j’ai fini par surmonter l’obstacle de l’opinion en lisant Simone De Beauvoir. « On ne naît pas femme on le devient ». Cette phrase et ses pensées m’ont fait écho et ont mises enfin du sens au mot « féminisme ». C’est notre enfance, nos traditions, notre culture, notre religion, notre histoire, notre réalité de vie qui construit notre féminité. A chacun sa réalité. Il y a les féministes radicales, libérales, socialistes, celles qui signent des Tribunes, celles qui s’y opposent et j’en passe, mais leur engagement est un reflet de leur vie, de leur histoire. Avoir cette vision me permet d’avoir suffisamment de recul pour construire mon propre positionnement dans cette lutte. Le combat des classes sociales et la lutte des conditions de la femme doivent se faire ensemble pour qu’il y est un profond changement sociétal.
Et c’est donc la raison de ma lettre.
Cher monsieur,
Père, grand père, frère et fils, luttons ensemble, cultivons notre jardin.
Commençons par nous faire confiance. Bien que parfois on veuille se prouver le contraire, nous avons besoin l’un de l’autre pour mourir en paix. Nos relations tendent à devenir de plus en plus difficile mais rappelons-nous que la vraie lutte se fait dans notre quotidien, dans le « vivre ensemble ». Partageons nos pensées, nos émotions, nos tâches quotidiennes, nos préoccupations, nos douleurs, nos désirs et nos rêves. Cherchons la faille du système qui offrira de l’espoir à nos enfants. Mettons aux placards ces personnes captivées par la soif du pouvoir qui exercent des pressions psychiques et traumatiques sur notre bien-être. Faisons justice face à ces comportements indignes, face à nos droits de femmes, d’hommes, de mère, de père et d’être humain.
Libérons-nous de ceux et celles qui porteront atteintes à nos libertés et surtout vivons !
Mon cher Monsieur, crois-moi, l’amour vaincra !
Lara. H.
24/01/2018